La dernière Reine - El Akhira Algérie 2022 – 113min.

Critique du film

La révolte de Zaphira, héroïne algérienne face à l’histoire

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

Récompensé au dernier festival de Venise, «La Dernière Reine - El Akhira» porte à l’écran la noble et sanglante révolte de la reine Zaphira face à l’infâme Barberousse.

Alger, 1516, le sanguinaire corsaire Aroudj Barberousse (Dali Benssalah) libère la ville de l’invasion espagnole. Fort de son succès, et muni de son gant de fer, il arrache la gouvernance de la ville des mains du roi Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui) avant de l’assassiner. Personne ne semble pouvoir l’arrêter, et pourtant. Son opposant le plus redoutable pourrait bien être la reine Zaphira (Adila Bendimerad), veuve de Salim, et dont la rébellion va rebattre les cartes d’Alger.

En témoigne le souffle des films de Mohammed Lakhdar-Hamina, le succès d’«Indigènes» de Rachid Bouchareb, ou les œuvres plus contemporaines de Hassen Ferhani, Sofia Djama ou encore Mounia Meddour, le cinéma algérien a bien souvent été en prise avec son histoire récente. Le terrorisme, la guerre et la colonisation française servaient ainsi de socle à une génération de cinéastes talentueux et inspirés qui ont ventilé les horreurs du 20e siècle. Et la grande Histoire de l’Algérie de rester ce vaste continent en marge du 7e art. Une tradition que rompt aujourd’hui le film «La Dernière Reine - El Akhira», premier grand film algérien en costumes et qui restitue la polyphonie linguistique des langues parlées au Maghreb au 16e siècle.

Déjà en tandem avec Damien Ounouri pour la réalisation du court-métrage «Kindil El Bahr» en 2016 (sur l’histoire d’une mère lynchée à mort alors qu’elle se baignait seule à la plage), doucement se dessinent les prémisses d’un cinéma engagé pour parler de l'adversité, sinon la terreur, des femmes face aux hommes de leur temps. C’est en parcourant un livre sur l’Algérie qu'Adila Bendimerad découvre le récit de la reine Zaphira. Entre «fiction et réalité», confie-t-elle, son histoire, bien que chroniquée au fil des siècles, aurait souffert d’une masculinisation des récits officiels avant de perdre de son éclat. Balayée, effacée, son histoire lui rappellerait aussi la destruction de la casbah d’Alger durant la période coloniale. Ainsi, les destins se confondent, et «La Dernière Reine - El Akhira» devient un récit à double hélices : celui d’une reine et d’une ville sur lesquelles un pirate, Arouj, aurait jeté son dévolu.

Téméraire face aux patriarches et à ses frères qui lui arrachent son fils, stratège pour défendre Alger contre les Castillans, quitte à sacrifier sa propre vie, Adila Bendimerad (productrice, metteuse en scène et actrice) incarne l’extraordinaire destin de cette reine qui n’avait pourtant jamais vécu à l’écran. Depuis l’assassinat de son époux, elle devient l’objet de toutes les fascinations romantiques et politiques. Accusée de traitrise, Zaphira devient «l’agitatrice» dont le déshonneur devra, lui dit-on, se régler par le sang. Et pourtant, c’est elle qui scellera son destin à la dague.

Une tragédie en cinq actes portée par la splendide cinématographie et les vibrants décors et costumes de Feriel Gasmi Issiakhem et Jean-Marc Mireté. Si quelques écueils un peu désuets et l’économie de mouvements tendront vers l’artificialité de certaines scènes, il n’en reste pas moins un spectacle audacieux, un grand récit romanesque stoïque et féroce. Notons par ailleurs que «La Dernière Reine - El Akhira» est l’un des derniers films ayant bénéficié du soutien du Fdatic (Fonds de Développement des Arts, des Techniques et de l'Industrie Cinématographiques) créé quelques années après l’indépendance du pays en 1962. Un dispositif dissous sans alternative fin 2021 et qui devait initialement contribuer au rayonnement du cinéma algérien et à l’enrichissement des archives. Une décision qui avait provoqué l’indignation de la profession. Dans ce contexte, il nous semble primordial d’aller découvrir «La Dernière Reine - El Akhira» au cinéma.

13.06.2023

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