CH.FILM

Mon cousin anglais Algérie, Qatar, Suisse 2019 – 82min.

Critique du film

L’exil aller-retour d’un homme en quête de sens

Emma Raposo
Critique du film: Emma Raposo

Karim Sayad rempile pour un deuxième long métrage documentaire. Après avoir réalisé Des moutons et des hommes en 2017, le suisso-algérien né à Lausanne braque sa caméra sur son cousin Fahed, immigré algérien débarqué dans la cité portuaire de Grimsby en Angleterre il y a 20 ans. Présenté au Festival du film de Toronto en septembre 2019, Mon cousin anglais dresse le portrait intimiste et attendrissant d’un homme à la recherche de sa véritable place.

Fahed sillonne les routes de Grimsby, cité ouvrière morne à l’est de l’Angleterre. L’homme partage son temps entre son travail à l’usine et la cuisine d’un kebab géré par un compatriote algérien. Le soir, il retrouve ses colocataires venus travailler pour quelques semaines dans la ville du Lincolnshire. Une routine rythmée par l’alarme de son téléphone qui le réveille inlassablement aux aurores.

Sous ses airs bonhommes, le flegmatique Fahed, arrivé clandestinement en Grande-Bretagne en 2001, pense au retour en Algérie. Après 20 années passées en terres britanniques, il est temps pour lui de rentrer au bercail. Alors que l’idée de rentrer auprès de sa famille semblait plutôt séduisante au premier abord, la réadaptation au style de vie oriental s’avérera plus compliquée qu’il n’y paraît.

On ne peut effacer deux décennies de vie en un claquement de doigts. Si l’arrivée en Angleterre a été difficile pour Fahed, le départ semble l’être tout autant. Tiraillé entre son désir de rentrer pour retrouver les siens, pour enfin se marier et débuter une vie rangée et apaisée, et son envie de continuer sa vie en Angleterre, là où se trouvent désormais son cercle d’amis, le quarantenaire réalise qu’il est désormais un étranger ici comme là-bas. Indécis et perdu, Fahed a les pieds sur deux continents différents et la tête entre deux mondes.

À travers le parcours de son cousin, le réalisateur lausannois pose intelligemment la question de l’immigration, de l’identité et du déracinement engendré par l’exil. D’une nonchalance latente traversant tout le documentaire, à l’image de son personnage principal, l’histoire mobilise des thématiques qui trouvent un puissant écho aujourd’hui, alors que l’immigration est encore et toujours un sujet brûlant. Grâce à son documentaire, le cinéaste donne la parole à ces personnes de l’ombre, celles que l’on croise tous les jours, mais que l’on ne remarque pas. Couche imperceptible de la société, Fahed et ses semblables sont mis à l’honneur sous la loupe bienveillante et nuancée de Karim Sayad.

On pourrait aisément reprocher au film son manque d’action, d’en être au même point à l’issue de la projection qu’au début. La vérité, c'est que sur les traces de cet immigré algérien se dessine le destin de millions d’autres. Sous fond d’exode se rappelle à nous une problématique complexe, celle de l’appartenance, ou comment exister sans jamais se sentir enraciner quelque part. Le documentaire manque peut-être de traiter ou, tout du moins d’illustrer, plus en profondeur son personnage, rendant la personnalité de Fahed brumeuse et ses intentions insondables, mais le film ne manque en tout cas pas sa cible lorsqu’il esquisse les contours d’une relation ambiguë à sa terre natale ainsi qu’à son pays d’adoption. Figure touchante, Fahed est ce cousin, ce voisin, ce cuisinier, ce passant ou ce mari en quête de sens et de racines... comme chacun de nous.

21.05.2021

3.5

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